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Thermos se raconte

Depuis la création du projet « cuisine vidéo » nous avons créé des espaces

dans lesquels il était possible de s’inviter à participer.

La question de la participation a toujours été centrale et respectée.

Ainsi nous avons mis en place des éléments qui favorisent la liberté

d’aller et de venir dans les ateliers.

Nous avons créé des espaces d’atelier ouvert,

pour lesquels ni inscription, ni réservation n’était nécessaire.

Nous avons accueilli toutes les personnes qui se présentaient.

Celles ci s’ajustaient d’elles mêmes au possible.

Lorsque les postes de création étaient occupés,

les personnes observaient, discutaient, repartaient, revenaient.

Elles allaient et venaient.

Nous avons observé pendant les différents ateliers de co-création

qu’il pouvait s’y découvrir des temps de fatigue, des temps de lassitude,

des temps vivants liés à une vie collective éphémère,

dans une ambiance de créativité créée pour 3 heures.


Dans ce temps, chacune des personnes trouve sa place.

On a vu certaines personnes « regarder » leur smartphone,

« posées » dans un coin de la pièce,

d’autres jouer au foot sur le parvis derrière la MPT,

certaines s’isoler dans des pièces attenantes pour discuter entre elles,

d’autres aller s’inscrire à l’accueil pour une activité pour leurs enfants ou pour elles mêmes, aller régler une question administrative,

téléphoner,sortir fumer une cigarette et ne pas revenir,

laisser les enfants à d’autres pour aller faire une course.


Ces temps observés confortent le besoin pour ces personnes,

le plus souvent des femmes,

d’avoir un endroit pour se retrouver, se poser, s’asseoir, observer, s’absenter, discuter, s’agiter, créer, découvrir, mettre la main à la pâte, s’aventurer dans un projet artistique,

s’interroger sur la manière de mettre en scène la farine sous l’appareil photo, comprendre le mécanisme de l’image par image,

prendre conscience que leur enfant parvient à écrire son prénom dans le bon ordre, écrire leur prénom avec des lettres de couleur aimantées
sous une webcam qui peut enregistrer image par image leur apparition

grâce à un petit logiciel de cinéma d’animation gratuit,

voir défiler leur prénom et celui des autres personnes ayant fait le même geste,

courir dans la cuisine parce qu’on a oublié d’allumer le four, aller chercher un fouet,

se désespérer parce qu’il n’y a pas de tamis, chercher une solution,

trouver la passoire, la nommer,

venir avec son propre couteau pour la découpe des baklavas,

faire les courses au supermarché turc avec l’artiste le matin même,

être soulagée de comprendre que les ingrédients pour l’atelier proposé dans un moment spontané ne seront pas à sa charge,
décaler un rendez-vous pour pouvoir rester au bout de l’atelier, surveiller la cuisson, oublier le sucre sur le gaz,

recommencer, paniquer, respirer, tenir bon,

trouver que 6 images par action c’est déjà beaucoup alors 12 !,

vouloir faire plaisir, être satisfaite de la satisfaction des autres, savourer sa propre recette, photographier les recettes dans les livres, photographier ses enfants en train de faire,

se retrouver au marché et se tromper de jour,

échanger des coups d’œil complices en silence au dessus de l’appareil photo,

observer les autres tâtonner, aider les autres à comprendre les mécanismes techniques, à 6 ans montrer à 1 adulte comment fonctionne la prise de vue image par image sur le pc, passer 1 heure 30 à recopier la recette image par image à la craie,

se tromper, essuyer, recommencer, tenir bon, partager le lien YT avec sa famille, enchanter les personnes invitées avec le récit de l’atelier qu’on a fait,

savourer des gâteaux et affirmer que c’est délicieux quoi qu’il en soit

parce que le goût a l’empreinte de ce qu’on a vécu ensemble,

applaudir, se remercier, se retrouver, se dire à demain, répondre aux sms,

ne pas y répondre, s’excuser de ne pas pouvoir venir,

arriver alors qu’on avait dit qu’on ne pourrait pas venir cette fois,

partir exténuée en disant franchement demain non c’est pas possible non vraiment et revenir reposée réjouie entraînée,

se poser dans uncoin, se raconter, chuchoter, éclater de rire,

s’absenter dans son téléphone pour disparaître un moment du collectif,

se plaindre de la vivacité des enfants, dire sa fatigue, imaginer des mises en scène au fur et à mesure, penser au plan d’après, complètement oublier de faire des photos, commencer à mélanger les ingrédients seule sur un bout de table,

s’affaler, oublier ses enfants, dégager la tête des soucis,

boire un café, trop fort, rajouter de l’eau, proposer de faire du thé à la menthe,

le servir à toutes, le boire ensemble,

se laisser dépasser par la quantité de choses à penser, à faire,

être rassurée par la présence confiante des personnes,
s’autoriser à laisser les autres ranger, débarrasser, laver, aider, s’aider,

à oublier d’aider, à fuir le moment du rangement,

s’autoriser à partir avant la fin, s’autoriser à être de passage,

s’autoriser à s’absenter un long moment,

provoquer la rencontre, risquer le laisser faire, oublier de faire au minimum 6 images, oublier de photographier le plat fini, le dévorer,

créer des rituels de remerciement, de fin, de retrouvailles.

Faire se rencontrer des personnes qui se connaissent déjà, se tromper,

avoir des a prioris, essayer de les formuler,

provoquer des espaces de création pour les adultes sans les enfants,

provoquer des espaces de co-création autogérée, prendre le risque du jeu,

ne pas répondre à l’injonction de faire, laisser faire l’ennui,
faire confiance au processus de création,

faire confiance au processus de création collective, à l’intelligence collective,

la mettre en œuvre, disposer un espace pour inviter et pas imposer,

mettre de la couleur,
garnir les murs de fruits et légumes géants,

garnir les tables de couleurs de couverts et de livres,

savourer le moment où les livres s’ouvrent,

où soudain un grand silence se pose, passe, disparaît,

ressentir une émotion esthétique qui surgit dans l’agencement d’une rondelle de citron et d’un plat en verre bleu,

goûter l’acidité et la partager,

assister à la découverte du goût du citron par une enfant qui déclare n’aimer

ni fruit ni légume,

m’entendre dire que sans « nous » je ne suis rien,

devenir la photographe ponctuelle des familles lors d’une sortie à la ferme, accompagner leur joie d’être en extérieur dans un beau paysage

et vouloir y être photographiées,

prendre confiance dans le projet, enregistrer des nouveaux numéros de téléphone,
chercher ensemble comment accéder à la chaîne Youtube sur le smartphone,

demander à une personne de me renvoyer la recette pour faire les courses,

me tromper dans la liste de courses, tout mélanger,

me faire entendre dire c’est quoi cette huile, qui est bio de tournesol et qui a du goût, comme un reproche,

rencontrer une personne des ateliers au supermarché et lui demander des conseils sur l’achat de la marque de la fleur d’oranger,

se dire à demain, accueillir une nouvelle personne,

des nouvelles personnes et les présenter aux autres personnes,

les laisser se présenter, faire connaissance sans moi,

arriver hyper fatiguée à un atelier et ne plus y croire,

voir arriver une personne elle aussi hyper fatiguée, qui vient pour ne pas être seule,
pour s’occuper et qui me dit « c’est parce que tu as écrit qu’on pouvait rester 10 minutes et juste boire un café dans ton texto que je suis venue sinon je ne serais pas venue », partager un café,

voir débouler une autre personne rencontrée la veille, être surprise qu’il vienne,

favoriser une rencontre, dé-genrer les rôles,

créer un film ensemble,

découvrir une recette qu’on n’a jamais faite et pourtant si simple,

prendre le risque à nous 3 de faire cette recette, ce film,

repartir sucrée et rassurée, comblée, pouvoir revenir, repuiser de la force,

avoir toujours de nouvelles idées, faire sans cesse attention de ne pas imposer,

laisser le silence,

avoir la sensation de ne rien faire et d’être débordée en même temps, être lessivée,

passer des heures à changer l’orientation des photos, les sauvegarder, les dupliquer,

les supprimer, les agencer dans le logiciel de montage,

retrouver les prénoms, ne pas oublier une seule personne dans le générique,

s’assurer que les temps passés à jouer avec les lettres de couleur ne sont pas fastidieux mais créatifs,

proposer des temps de pause, ne pas intervenir, intervenir, modifier un élément,

ne pas tenir et proposer une mise en scène pour la découpe et le partage du gâteau, imposer mon idée, regretter, assumer, décider quand c’est fini, parler fort,

imposer ma voix, imposer un accueil, une écoute, se laisser déborder par les actions, accepter qu’il y aura des façons de faire maladroites, décadrées,

proposer de participer au montage,

attendre plusieurs mois que cela devienne possible, tenir bon,

essayer de mettre en place des ateliers réguliers ponctuels à la demande pour favoriser la connexion au projet et aller vers ce qui a été souhaité pour,

se remettre en question et interroger ces directions, ne pas produire, laisser vivre,

être en contradiction avec le projet,
amener les personnes dans une direction précise et guidée,

céder à l’institution, ne pas céder à l’institution,
co-construire absolument, prendre le risque d’être ensemble,

que ce qui a été décidé, voulu, proposé ait été vu perçu comme une « activité » pour s’occuper et que celle ci vient à sa fin,

que l’ennui et la redondance prenne le dessus sur la créativité, sur l’agir, sur l’émergence, ne plus arriver à voir ces temps comme des friches nécessaires,

des temps de pause, pendant lesquelles les transformations opèrent,

avoir peur de perdre la confiance,

ré-inventer l’activation du lien, oser modifier les codes,

proposer un temps de réflexion commune depuis des mois,

ne pas parvenir à le mettre en place, se laisser déborder par le faire,

avoirpeur que sinon les personnes ne viennent plus,

imaginer à leur place que ce dont elles ont besoin

c’est remplir, faire, s’occuper, remplir, vider, sortir de chez elles, s’atteler à une action. Leur laisser leur place,

leur laisser la parole.

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